Le tarot de Dodal laisse rarement indifférent. Son graphisme primitif le classe parmi les plus anciens conservés intégralement. La Mention P. LETRANGE (Franc pour l’étranger) témoigne qu’il fut édité après 1701. Cette année voit l’apparition d’une lourde taxe sur la ventes des cartes à jouer, exceptée pour les jeux destinés à l’exportation. L’éditeur signe sur le 2 de denier FAICT A LYON PAR IEAN DODALI. Sur le 2 de coupe plusieurs mentions sont mêlées au graphisme :
– PLN
– FPE
la base de la coupe est signée : IEAN DODAL
La recherche dans les actes mentionne Jean Dodal, cartier actif à Lyon de 1701 à 1715.
Cependant aucun acte de naissance, de mariage, de parrainage d’enfant ou de décès ne viennent confirmer l’existence de ce personnage dans la cité.
Dodal est il une invention de toute pièce ? un stratagème collectif pour éviter la taxe ? Une association confidentielle d’un ou 2 cartiers pour exporter réellement ce tarot ? Les moules du Dodal (les bois gravés du motif des cartes) généralement transmis de père en fils existaient-t-il déjà avant la taxe ? Ou alors, quel artisan aurait dessiné des images d’un style antique et moyenâgeux au tout début XVIIIe et quelle aurait été son inspiration ?
Et si nous abordions ces mystères par l’iconographie !
Retour sur l’histoire de l’art du X au XVe
Au Xe et XIe l’enluminure des manuscrits religieux se développe. A partir du XIIIe de nouveaux ouvrages voient le jour, il s’agit d’essais et de traductions de textes issus de la mythologie de la Grèce Antique. Ainsi une nouvelle pensée se propage : l’Homme, son âme, son corps, et ses passions forment un “Tout” harmonieux et indissociable animé par une cause noble : la Vie.
La vision classique (antique) s’oppose complètement à la morale traditionnelle.
Celle-ci met en scène la séparation du corps impur et de l’âme divine. Leur coexistence réduisant la Vie à une lutte permanente entre le bien et le mal.
Les deux courants de pensée se télescopent. De leur rencontre, naitra un courant artistique renouvelé : il fait évoluer l’art du manuscrit, encore rigide et moralisateur vers une iconographie riche de passion de mouvement et d’espace : l’art de la Renaissance.
Durant cette période, les sujets de la gravure sur bois évoluent également vers la pensée classique. C’est alors que les cartes à jouer deviennent populaires en Europe. Souvent frappé d’interdiction par la loi, le support de jeu est une ‘occasion rêvée pour les artistes et artisans graveurs de créer un nouveau motif. Ils intègrent subtilement la philosophie humaniste à l’iconographie rigide du moyen âge : ils donnent naissance au Tarot ! Son graphisme traditionnel gagne la confiance des religieux et des monarques alors que les images véhiculent la pensée moderne auprès des toutes les populations même illettrées.
Quel tour de carte !
Proposition sur la datation du style iconographique du Tarot de Dodal
Le style graphique rappelle les illustrations des manuscrits du XIe par la forme des vêtements, le tracé et le niveau de détail.
En revanche le tarot ‘intègre des éléments classiques (le char, Apollon, Cupidon etc.) et des ‘expressions émotives sur le visage des personnages. Cela témoigne que l’auteur même dans un milieu populaire ait été inspiré par la pensée antique.
Chronologiquement, nous observons ces faits :
– L”ouvrage Mythographus III est paru en 1217 : mythologie antique traduite dans son essence
– “les triomphes” poème de Pétrarque paru en 1374 : l’exemple d’un artiste qui s’approprient le nouveau courant de pensée
– Premières mentions des cartes à jouer 1377, dans un édit mentionnant leur interdiction)
– Premières cartes de tarot retrouvées en Italie : 1462 réalisées sur commande pour des familles ouvertes aux classicisme humaniste.
Il semble cohérent que le style de la gravure du Tarot de Dodal date de la fin du XV ou du XVIe siècle témoin d’une période de transition artistique.
En Effet l’art au XVIIe a largement dépassé l’iconographie du Tarot. Les artistes se consacrent désormais a observer et restituer la nature, les proportions et les formes avec le plus de réalisme possible. IL est clair que tous les tarots au motif appelé “de marseille” produits dans le XVIIe et XVIIIe siècle s’inscrivent comme les copies d’une inspiration antérieure.